Les ruchers de la durance
Entretien et photos réalisés par Cigalin Provence-com.com
Toute la production de miel est certifiée bio par Veritas France, dont le certificat est disponible à la fin de l’article.
Au cours d’un long entretien passionnant, Philippe Léger, apiculteur bio à Charleval (13), nous a expliqué en détails la confection d’un bon miel. Hélas, ils ne sont plus nombreux à travailler proprement le miel en Provence. Philippe n’est pas langue de bois : dans un autre article, il s’insurge contre les pratiques d’une grande partie de la profession.
Philippe Léger était au départ ouvrier agricole. Il a commencé avec une ruche, conseillé par l’oncle de son épouse Jenny. Cela fait 10 ans qu’il est dans les abeilles de production, et pour cela il est retourné à l’école à 35 ans. Il est en biologie depuis 7 ans.
« Le bio ce n’est pas pour l’argent, c’est ma façon de travailler. J’ai toujours travaillé comme ça. Il faut trouver des endroits corrects, loin des grandes cultures, sauf bien sûr celles de la lavande. Mais le principal c’est ce qu’on fait dans la miellerie ! »
Produire du miel mais c’est facile !
Philippe Léger, non sans humour :
« Je mets les ruches, je siffle, les abeilles rentrent dedans, je mets quatre pots vides en dessous. Plus tard, elles me téléphonent pour mettre le couvercle parce qu’elles n’y arrivent pas. Et voila ! »
Hélas, la réalité est moins simple ! Philippe est un apiculteur expérimenté et travailleur, qui ne fait aucune concession à la qualité. Et il obtient d’excellents résultats :
« Pour chaque ruche, chaque année, j’obtiens jusqu’à 50 kg de miel ! Ce n’est pas un miracle, je m’en occupe, je suis dedans tout le temps. C’est moi qui leur fais faire. Le miel c’est l’aboutissement de beaucoup de travail ».
Il est bien sûr tributaire des conditions climatiques.
« Les deux premières années, en 2004 et, 2005, tout s’est bien passé, mais depuis 2006, il fait trop sec…et 2006 ce fut la gifle. J’ai alors décidé de remonter mes ruches en cours d’année vers le Rhône. La transhumance est indispensable dans notre travail ».
La succession des miellées
La miellée, c’est la courte période de floraison d’une fleur (10 jours à un mois), pendant laquelle les abeilles fabriquent tel type de miel. Durant la saison, les abeilles vivent 6 à 8 semaines et sont capables de produire 2 ou 3 miellées.
Entre chaque miellée, après la récolte du miel, les ruches sont déplacées pour que les abeilles butinent d’autres champs de fleurs. Voici les miellées successives qui concernent Philippe, bien que cela peut changer chaque année.
Mars-avril : Romarin et Garrigue (miel très blanc, nacré, crémeux, avec un goût assez prononcé)
« Je mets les abeilles soit dans le Var, soit ici, entre Lambesc et Charleval (chaîne des côtes), mais cette année il a fait trop froid et je les ai installées près de la Fare les Oliviers où il y a un micro climat. Malgré cela, il a fait trop froid, elles n’ont pas fait une goutte de miel, elles ont pu se nourrir et puis c’est tout. Le romarin était en fleurs, mais ce n’est pas parce que vous avez la fleur que vous avez le nectar. »
Mai-juin : Acacia (miel clair, liquide, doux, goût léger et fin que les enfants apprécient). C’est plutôt du Robinier ou faux acacia. « Je mets mes abeilles en Isère, et j’y fais aussi un miel toutes fleurs (brun clair, crémeux, agréable) au même endroit car on obtient trois miellées successives, l’acacia, le trèfle blanc et le tilleul. »
Juin-juillet : Châtaignier (miel brun foncé, liquide à crémeux, corsé, riche et prononcé )en Haute-Ardèche et Cévennes
Juillet-août : Lavande (miel ivoire à ambré, liquide à crémeux, parfumé, fruité) « En Haute-Provence, à Valensole et Montagnac ; je ne les mets plus dans la Drôme car trop dangereux pour les abeilles. Les viticulteurs, au mois de juin et lors des grosses chaleurs, traitent contre le ver de la Grappe et le pesticide est hyper violent. Ils massacrent les ruches ».
Août – Septembre : Arbousier (miel clair, crémeux, goût prononcé avec amertume) : dans le Var (forêt des Maures). « Je vais essayer cette année. »
Septembre – octobre : Bruyère blanche (var), bruyère callune (Cévennes, Haute-Loire). « Je ne les fais plus. C’est trop tard et trop loin pour moi » « Avant je courrais après les miellées, notamment le Romarin en début d’année, le Tilleul, la callune, etc…mais maintenant je recherche plutôt les grosses miellées. Parce qu’à se déplacer continuellement, cela coûte cher. » En 2010, Philippe s’en concentré sur la lavande, acacia, la châtaignier et le miel toutes fleurs.
Le travail au cours de l’année
L’hiver « Les abeilles hivernent mais n’hibernent pas, elles sont en grappe, elles attendent, elles mangent. Pendant ce temps, il faut préparer les cadres, les gratter, les nettoyer, préparer les emplacements , débroussailler, etc… »
Le printemps Fin février, mars, à 11,12 ou 13 degrés, les abeilles sortent. Elles vont chercher de l’eau et repèrent les premières fleurs. De son côté Philippe démarre l’élevage : « Je fais la sélection des reines moi-même. A cause de l’effondrement des ruches, les pertes importantes chaque année, on est obligé de faire de l’élevage, de changer les reines tous les deux ans, parfois même chaque année. L’élevage me permet de reconstituer tout ou partie de mes ruches. Avant, nous avions 5 à 10% de pertes, mais maintenant nous en sommes plutôt à 20% à 30%. Cette année, j’ai perdu 80 ruches sur 240 et je n’ai pas pu toutes les reconstituer. Avec l’expérience, je parviens à sélectionner des reines qui rendront les abeilles agressives, travailleuses, avec de bons rendements, qui travaillent bien, qui sont nettoyeuses, propres et tolérantes au varroa. Mais l’élevage est délicat, car les abeilles locales sont polluées par le génétique des autres apiculteurs (moins scrupuleux) qui importent des abeilles non adaptées. » Chaque jour, à partir du 21 mars, la reine pond 2000 œufs. Les larves sont nourries 3 jours à la gelée royale. Le 4ème jour, Philippe sélectionne et isole certaines larves dans une ruche orpheline ou elles se développeront en 14-16 jours. Chaque nouvelle reine pourra ainsi démarrer une ruche. Cette reconstitution nécessaire des ruches prend 2 mois et demi et la production ne redémarre donc vraiment qu’avec l’acacia, début mai.
Abeille naissante
Les miellées
De mai à septembre, le travail est intense, à raison de 12 heures par jour. Et il faut compter les transhumances qui se déroulent de nuit. « Car dès le matin, elles sortent et ramènent du nectar, quasiment sans période d’adaptation ».
Fin de saison « Je mets en hivernage et je traite les ruches. C’est à ce moment seulement qu’a lieu le traitement contre le varroa. C’est un vecteur de maladies qui fait beaucoup de dégâts. Cela fait 25 ans que cela dure sans qu’on en trouve la cause. « Il n’y a pas de recherche sérieuse… ».
La récolte, la plus naturelle possible Bien évidemment, Philippe ne récolte que l’excédent de miel contenus dans les hausses.
A la fin d’une miellée, les cadres sont retirés et apportés à la miellerie. « Pour retirer les cadres, je n’utilise ni répulsif chimique, ni de la fumée qui les endort, brouille les signes d’agressivité. La fumée donne un goût et une odeur au miel ». Pour garder la qualité du miel, Philippe chasse les abeilles avec un souffleur.
Pour récupérer le miel des cadres, pour Philippe, pas question de chauffer, même à 40 °, pour défiger. « Pourtant la plupart le font ». Ne pas chauffer permet de respecter totalement la qualité du miel et de préserver ses atouts gustatifs , nutritifs et thérapeutiques. Au contraire, lorsque l’on chauffe le miel avant sa mise en pot, on déclenche un processus irréversible de dégradation du miel qui ira en s’aggravant au cours des mois qui suivent.
Hausse de châtaignier, de 15-20kg, récoltée près d’Aubenas, en Haute-Ardèche
La technique la plus propre, à froid, consiste à désoperculer au couteau (Cette étape consiste à enlever la pellicule de cire qui bouche les alvéoles remplies de miel)
Puis de placer les cadres dans une centrifugeuse pour extraire le miel.
Ensuite, le miel est filtré à deux reprises puis on laisse reposer pour décanter pendant trois semaines à une température de 20°C pour faire remonter en écume l’ensemble des dernières impuretés.
Avec certains miels, on peut obtenir une pâte plus crémeuse : « je le fais naturellement, par brassage, par exemple sur la lavande ou éventuellement le garrigue ». Par contre, certains conditionneurs n’hésitent à pasteuriser le miel à 80° (!) et à l’ensemencer à 10% avec du miel de Colza (très mellifère, cristallisation fine) pour obtenir du miel crémeux. C’est quasi impossible d’obtenir du miel de colza ‘propre’, car comme le maïs, c’est une culture très ’saucée’ de pesticides.
Le miel est maintenant prêt à être conditionné et conservé au frais pour ralentir la cristallisation. Un miel non chauffé peut se conserver plusieurs années. Philippe préconise de consommer dans les deux ans.
L’épouse de Philippe fait aussi du pain d’épices très apprécié pour les fêtes de fin d’année.
Traitement des cadres
« L’opercule, c’est de la cire produite par l’abeille ; fondue on en fait des pains qu’on rend à la coopérative agricole en échange de nouvelles feuilles de cire pour amorcer les ruches, c’est à dire qu’on met la cire dans les cadres et les abeilles étirent la cire pour faire les alvéoles ».
Les cadres sont nettoyés attentivement et stockés dans un endroit propre. Donc, pas besoin de naphtaline pour empêcher la teigne.
« On remplace les cadres tous les 6, 7 ou 8 ans. 10 ans c’est exceptionnel. Mais je sais que certains gardent les cadres pendant trente ans ! »
Traitement des maladies
Pour le varroa, Philippe utilise le thymol, produit chimique accepté en bio, « car c’est celui qui rend le moins de résidu dans les cires ». Le traitement est réalisé en septembre, avant l’hivernage. « En début de saison, c’est perturbant pour les abeilles et mauvais pour le miel. D’autres utilisent des insecticides à base de Coumaphos, cancérigène et qui laisse des résidus dans la cire ».
Varroa sur le dos de l’abeille
La loque des abeilles est très répandue car très contagieuse. « Cela ne se soigne pas. Les antibiotiques ne servent à rien. J’ai eu une dizaine de ruches atteintes cette année. Elles doivent être détruites. On ne peut transhumer une ruche malade. Le risque, c’est lors de la miellée de lavande où tout le monde se retrouve avec toutes les saloperies du monde... »
La vente
Philippe fait 6 marchés, des foires, et de la vente directe. Il peut ainsi se faire connaître pour la qualité de son miel. On peut le voir par exemple à Signes en mai, à Hyères en août, au salon Artémisia à Marseille en octobre.
« Pour être accepté dans les foires importantes, il faut payer sa cotisation au syndicat, 350 €/an. Par exemple, à la grosse foire de Mouans-sartoux (83), près de Grasse, organisée par le syndicat en avril, il y a 40 à 50 apiculteurs présents. Mais il faut être syndiqué pour y être invité. Et comme je ne suis plus syndiqué, je ne peux plus y aller ! ».
De toutes façons, vendre sur les marchés, Philippe, ce n’est pas son truc !
« Je n’ai pas d’autre boulot, donc mon travail de mars à septembre doit me permettre de vivre toute l’année. Je n’ai que 200 ruches, il m’en faudrait 300-400 pour en vivre décemment. Mais quand je me regarde dans la glace le matin, ça va bien. Les gros apiculteurs qui ont plus de 1000 ruches, 4 ou 5 stagiaires mal payés, et qui balancent du sirop… ce n’est pas pour moi. »
