Comment se prépare un panier ?
Nous avons choisi d’enquêter chez l’un de nos maraîchers, la famille Péré, pour comprendre les multiples actes additionnés qui permettront en fin de journée la répartition de beaux légumes et fruits dans nos différents sacs ou paniers…
Le visible et l’invisible
Ce reportage nous a permis de découvrir le concret, le visible, ramassage, préparation, lavage, mise en cagettes, etc.
Mais il y a aussi et surtout l’invisible, tout ce qui sous-tend, tout ce qui vient de loin, dans la préparation, les soins, au moment des semis et même bien avant ça, quand on décide du choix des espèces et des quantités et où, sur quelle terre, dans quel ordre, et ce que ça implique : dans cette serre, tant de plants d’épinards que des courgettes remplaceront 6 mois plus tard, après quoi viendront d’autres plants… ce ne sont pas que les heures qui tournent, mais aussi les mois et les saisons… ce n’est pas un simple ramassage avec comptage des produits de la terre, mais un pari sur son savoir-faire et sur toute cette vie biologique et cet entretien de la terre qu’on projette loin devant soi…
Préparer un panier ? rien de plus concret
Le concret, c’est de commencer à 7h du matin le ramassage en suivant un plan décidé le dimanche dans la confrontation des avis de l’équipe des maraîchers, et de poursuivre ce travail sans pause jusqu’à ce que tout soit prêt pour charger le camion. Alors seulement on mange. Il pourra être 13h, 14h, 15h, peu importe. C’est toujours non stop jusqu’à être prêt.
Le dimanche sont prévus les paniers pour la semaine, souvent même pour les deux ou trois semaines qui suivent. Mais en vérité il faudra s’adapter, modifier ces plans, parce qu’interviennent la pluie, le vent, le gel, le soleil et que la nature bien vivante accélère ou ralentit comme elle veut… l’homme se glisse dans tout ça, de son mieux.
« Les légumes sont ramassés le matin pour le soir. L’hiver, quand les conditions climatiques sont plus difficiles, on s’adapte au temps et on peut faire 2 à 3 jours de ramassage puis laver les légumes au fur à mesure qu’on prépare les paniers. » (Jean René)
Les livraisons sur Marseille vont du lundi au jeudi, chaque jour…
Ce travail-là, concret, maîtrisé, c’est déjà quelque chose. Connaître le nombre de paniers qu’on pourra servir en remplissant cette caisse de tel légume (80 variétés de légumes ! on finit par avoir un bon sens du volume et des quantités quel que soit le contenant). Remplir les petites barquettes plastique, serrer les bottes de radis avec des élastiques… ne pas compter surtout le nombre de flexions du dos qui se baisse et se redresse et se replie, les mains vont vers le sol… se déplacer dans l’un et l’autre sens sur les 2 fois 4 ha et demi, ramener les légumes au point de nettoyage… charger… tant de paniers pour les Bruyères, tant pour le Cabas Vert, tant…
Le concret a son rythme, ses gestes appris, sa mesure, son savoir, c’est un métier. Et pour celui qui part aux commandes du camion vers Marseille : il sait qu’il rentrera tard.
Le panier que voici ? sa conception remonte à loin
Comme une naissance. Pour un petit d’homme il y a 9 mois de la conception à la naissance. C’est la loi de ce qui vit. Les légumes sont vivants. Et le jeu du maraîcher bio avec sa terre est le jeu de celui qui observe, apprend, pense, pèse, décide, organise, plante, soigne. C’est le jeu de la nature vivante dont l’homme est juste un des rouages, un des intervenants majeurs. Pas plus mais pas moins non plus.
« On a planté les melons samedi dernier [16 mars 2013, NDLR]. Quelle que soit la culture, on connaît sa densité. Par exemple pour les melons, c’est 8 000 à 10 000 plants par hectare. » (Jean René)
Et nos maraîchers de se projeter vers l’avenir, la livraison prévue au début de tel mois, dans une quantité qu’on estime sur la base de l’expérience des années passées, et qu’on réévaluera selon ce qui sera observé, selon le temps qu’il fera ensuite… au gré des aléas.
« On achète nos plants et graines dans une pépinière. Mais celle-ci a trois semaines de retard pour notre commande. Nous sommes trop petits pour eux, alors ils attendent d’autres commandes pour nous regrouper avec elles, et du coup nous prenons du retard dans notre planning de plantation. Par exemple, on a planté les courgettes le 20 mars alors que c’était prévu pour le 1er mars. » (Jean René)
C’est très en amont que le panier se prépare. Mais c’est souvent que, tel un peintre son ouvrage, les maraîchers retouchent leur œuvre, parce que c’est aussi l’œuvre de la nature et qu’elle dépend aussi des fournisseurs, du monde qui autour freine, accélère, gêne ou aide… « Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage » (Boileau)… pour un paysan aussi vingt fois sur le métier, avec les mains et aussi avec la tête, toujours il faut se projeter devant, plus loin, plus tard, recommencer, corriger, adapter…
Du côté des aides, il y a les auxiliaires contre les prédateurs : il faut penser à les commander, connaître les prix, savoir les délais pour les recevoir, parce qu’on ne doit pas les déposer trop tôt, ni trop tard… il faut savoir où et comment les déposer… Les auxiliaires varient selon les cultures. Ils sont tous différents. Quelquefois ils viennent d’eux-mêmes, naturellement ! Sinon on prévoit, on gère…
Comme on gère la terre que l’on prépare, le compost, le nettoyage, l’eau, l’arrosage, par en-dessous, par au-dessus… qu’il faut aussi laisser reposer, assainir, parfois.
Ce sont des tâches quotidiennes, mais qui se décident et s’organisent très en amont. Comme s’il y avait un gigantesque tableau de commandes des multiples tâches. Mais un tableau de commande, il n’y en a pas. Il y a quelques hommes et femmes penchés sur leur savoir, leur terre, leurs outils, qui se projettent depuis ce qu’ils connaissent et aiment jusque vers l’avenir : et l’avenir ce sont ces paniers chaque semaine…
« Notre gros souci, c’est que vous en ayez toujours suffisamment, équitablement, varié, mais que pour autant nous ne perdions pas, nous, de l’argent. » (Jean René)
Une esquisse de conclusion
On pourrait croire n’avoir rien dit que de très banal sur la préparation d’un panier : un labeur quotidien tendu avec, en amont, expérience, réflexion et organisation. Quelle entreprise ne se targue pas de ces mêmes composantes ? Sauf qu’ici il s’agit du respect du vivant. Du bio, de la variété, la complicité avec la terre et les végétaux, avec les insectes auxiliaires, même, tout le contraire d’une exploitation-destruction sans frein !
« Les sociétés humaines [sont] aujourd’hui soumises à un gigantesque effort d’uniformisation à outrance… ». Pourtant, « dans la nature la diversité c’est la vie, et la santé d’un écosystème se mesure à la multiplicité de ses composants comme à la richesse des liaisons internes unissant ces derniers. (…) Nous sommes mal préparés à savoir servir la nature, (…) à respecter, à interroger, à écouter, à comprendre, à aimer la nature, mais bien plutôt à la dominer, à l’exploiter, au besoin à la mettre au pillage… » (Théodore Monod, “Et si l’aventure humaine devait échouer”).
La préparation d’un panier bio dans le cadre de notre système des paniers solidaires, c’est aussi la préparation d’un avenir autre.